~ Quel repas pour ce soir? ~

Carmen Shuffle venait de finir d’accueillir les nouveaux élèves. Elle s’apprêtait à aller leur rendre visite, dans les dortoirs, histoire de vérifier si tout était bien réglé, quand elle aperçut la porte des cuisines, juste sa droite.

Elle haussa les épaules, puis se dit qu’elle devrait bien, de toute façon, vérifier si les plats pour le repas du soir étaient bientôt près. Il fallait donc mieux qu’elle y aille maintenant, afin d’éviter de monter jusqu’au troisième étage pour redescendre au rez-de-chaussée ensuite.

Elle obliqua aussitôt dans le couloir adjacent.

La porte des cuisines n’était pas très grande, mais possédait deux larges battants de bois, qui passaient leur temps à vaciller sur leurs vis.

Elle poussa d’un coup de main expert, puis se laissa glisser de l’autre côté du mur.
Les cuisines étaient immenses, remplies de casseroles, d’établis de toute sorte. Quelques cuisiniers s’affairaient déjà.

L’un deux avisa la directrice, et se dirigea vers elle en marchant d’un bon pas. Il l’eu bientôt rejointe. Essuyant négligemment ses larges mains sur son tablier sale, il lui adressa un sourire jovial. Il tendit alors vers elle une de ses mains, que l’on aurait désormais pu qualifier de « propre ». Bien sûr, tout est relatif.

- Bonjour Ma’ame.

Carmen resta quelques instants à fixer la main du cuisinier, les yeux exorbités. Elle lui adressa finalement un sourire crispé, en laissant sa main choir dans la sienne. Il la lui secoua, et elle fit une petite grimace.

L’homme dut se méprendre sur son expression, car il se rependit immédiatement en excuses.

- Oh désolé, vous n’avez pas que ça à faire. Que nous vaut l’honneur de votre visite ?

Carmen hocha la tête, et entreprit de répondre à sa question.

- J’aurai voulu savoir si vous aviez bientôt fini les repas pour ce soir.

Le cuisinier tourna la tête vers un de ses subalternes, et Carmen crut un instant qu’il ne l’avait pas entendu. Elle insista.

- Alors ?

L’homme se retourna, un sourire aux lèvres.

- Oh excusez-moi. Combien serai-vous ce soir à dîner ?

Carmen fronça les sourcils, se concentrant.

- Et bien, disons, une dizaine. Nous attendons encore beaucoup de monde, mais je pense que ce sera tout pour ce soir !

Le cuisinier lui fit un petit sourire entendu.

- Pas de souci Ma’ame ! On va s’y mettre immédiatement. Quelque chose de particulier pourrait vous faire plaisir ?

La directrice haussa les épaules.

- Oh non, honnêtement, tout pourra faire l’affaire.

- Entendu.

Il la salua d’un petit signe de tête, puis se retourna et d’éloigna en direction de ses fourneaux.

Carmen s’apprêtait à repartir, lorsque son regard tomba sur une jeune fille assise près d’une des tables. Petite et fine, ses cheveux bruns cachaient son regard. Elle était vêtue assez simplement, d’un jean et d’un grand pull.

La principale ne l’avait jamais vu avant, aussi fronça-t-elle les sourcils, perplexe.
Elle s’approcha de la jeune fille, et posa sa main sur son épaule.

- Excusez-moi, vous êtes une élève ? Que faîtes vous donc dans les cuisines ?

La jeune fille lâcha ce qu’elle semblait tenir dans la main, et se retourna vers Carmen Shuffle.

Celle-ci, raide et droite, se retrouva confrontée au regard purement innocent de son élève. Enfin, innocent, elle était tout de même dans les cuisines…

- Ho, heu, tiens. Bonjour madame la directrice. Je... Je n’ai pas mangé de la journée, alors heu... Je venais m’attendrir avec toutes ses bonnes odeurs, dit-elle en souriant. Je me présente, je suis April Day, une nouvelle élève en journalisme. Vous n’allez pas me punir hein ? Je savais pas moi...

La jeune fille se releva, et la directrice put relever qu’elles étaient à peu près de la même taille, si ce n’est qu’April était légèrement plus petite, mais bien deux fois plus fine.
Carmen la jaugea un instant du regard, avant de soupirer.

- Et bien, je vous accorde le bénéfice du doute, Miss Day, mais que cela ne se reproduise plus. Les cuisines sont interdites aux élèves, j’espère que vous le retiendrez à l’avenir.

Elle s’apprêta à raccompagner sa nouvelle élève, lorsqu’une idée la frappa.

- Au fait Miss, vous avez bien dit que vous étiez étudiante dans la section journalisme ? En quelle année je vous pris ?

Elle ne laissa pas le temps à April de répondre, déjà elle enchaînait.

- De plus, avez-vous une idée pour le sujet de cette semaine ? En attendant les premiers professeurs, j’organise une petite découverte de l’école. Et vous comprendrez qu’il faut familiariser les élèves avec ce nouveau mode de fonctionnement, les thèmes et les sujets…

Elle fit une petite pause, histoire de voir comment April réfléchissait à la question.

Carmen soupira. La cause était gagnée. En général, April devrait être innocentée.

« - Et bien, je vous accorde le bénéfice du doute, Miss Day, mais que cela ne se reproduise plus. Les cuisines sont interdites aux élèves, j’espère que vous le retiendrez à l’avenir.

- Oui madame, répondit joyeusement April. »

Elle épousseta sa robe et s’apprêtait à partir avec madame Shuffle. Des petits bouts blancs du fromage de chèvres dégringolèrent pour finir sur le frais carrelage qui n’avait sûrement pas été lavée depuis le début l’été. Soudain, madame Shuffle s’arrêta brusquement. April espéra que ce n’était pas l’idée brillante d’une punition qui lui venait à l’esprit.

« - Au fait Miss, vous avez bien dit que vous étiez étudiante dans la section journalisme ? En quelle année je vous pris ?

- Heu... Je suis en...

- De plus, avez-vous une idée pour le sujet de cette semaine ? En attendant les premiers professeurs, j’organise une petite découverte de l’école. Et vous comprendrez qu’il faut familiariser les élèves avec ce nouveau mode de fonctionnement, les thèmes et les sujets…

- Oui oui... Bien sûr... Et bien... On pourrait faire une petite visite guidée de l’école mais en image, avec des plans et puis si certaine personne le souhaite, ils pourraient se voir faire visiter l’école non ? dit April, un peu incertaine. On pourrait aussi mettre le tableau des vacances, des jours fériés, des bals, fêtes... »

Son idée n’était pas des plus originales, à son goût, mais comme ça, elle était franchement à cours d’idée. Elle repensa aux journaux qu’elle lisait actuellement, ou plus jeune. Elle se souvint d’une correspondance d’une adolescente qui parlait couramment le japonais et l’anglais et chroniquais chaque mois sa vie de tout les jours au japon, vacances, uniforme...

« - Et puis c’est un peu tôt pour y penser, mais nous pourrions avoir une correspondante d’un pays étranger, parlant couramment l’anglais, elle nous expliquerait le fonctionnement de leurs écoles par exemple... Ou bien des globes-trotters... »

Tandis que les idées fleurissaient dans sa tête, Carmen ne disait rien. Se contentant certainement d‘écouter April. Celle ci avait d’ailleurs marqué une pause. Sentant qu’elle s’était largement éloignée du sujet de base, elle s’était vivement arrêtée pour dire à Carmen :

« - Si vous avez besoin d’aide, je suis là si jamais... »

April stoppa tout à coup, surprise. Elle crut sans doute que la principale revenait sur sa décision de passer l’éponge, mais non. Elle sembla un instant rassurée d’entendre toutes les questions dont l’abreuvait Carmen.

Elle réfléchit un instant, puis s’empressa de répondre.

Oui oui... Bien sûr... Et bien... On pourrait faire une petite visite guidée de l’école mais en image, avec des plans et puis si certaine personne le souhaite, ils pourraient se voir faire visiter l’école non ? dit April, un peu incertaine. On pourrait aussi mettre le tableau des vacances, des jours fériés, des bals, fêtes...

Carmen réfléchit. C’était effectivement une bonne idée, pourtant, April semblait incertaine. L’idée de la visite était très intéressante, et elle se demanda un instant comment diable allait-elle pouvoir le faire, s’il n’y avait encore aucun professeur à la Vermeer School.

Quand à la proposition d’un calendrier, celle-ci était relativement attirante. Elle voyait déjà les petites cases blanches, surmontées des grosses inscriptions en italique "important". On pourrait effectivement publier un calendrier sur le panneau d’affichage…

Alors que Carmen se perdait légèrement dans son imagination, April enchaîna.

- Et puis c’est un peu tôt pour y penser, mais nous pourrions avoir une correspondante d’un pays étranger, parlant couramment l’anglais, elle nous expliquerait le fonctionnement de leurs écoles par exemple... Ou bien des globe-trotters...

Des correspondants. Après tout pourquoi pas. Ou alors, les correspondants se situaient à l’intérieur même de l’école. Un parrain ? Non, un peu trop classique, un peut trop utilisé. Peut-être une sorte de correspondant inconnu. Un élève de l’école, comme un confident, mais inconnu…
Il faudrait creuser cette piste.

Carmen Shuffle garda ses yeux rivés sur April encore un petit moment, réfléchissant à toute allure. Celle-ci dut croire que Carmen attendait une suite, car elle continua…

- Si vous avez besoin d’aide, je suis là si jamais...

La principale fit un petit silence, puis sourit.

- Merci beaucoup Miss Day, vraiment. Vos idées sont réellement intéressantes, et je ne manquerai certainement pas de les prendre en compte à l’avenir. Que pensez-vous d’un conseil des élèves, ou quelque chose comme ça ?

Elle se retourna et se dirigea vers la sortie, persuadée qu’April se tenait derrière elle.

- A ce propos, quelle chose désirez-vous étudier en premier dans la section journalisme ? Un article de presse, un roman, une…

- Madame Carmen !

Carmen Shuffle se retourna vivement en entendant ainsi crier son prénom. Le cuisinier courait vers April et Carmen. Cette dernière le vit se rapprocher, sans pour autant ralentir. Au moment où il fut trop près pour s’arrêter convenablement, la principale fut persuadée que le cuisinier allait les percutait de plein fouet.

- Madame Carmen ! Attendez !

Carmen écarquilla les yeux et sa bouche s’entrouvrit. Elle n’eut pas le temps d’esquisser le moindre geste ou d’articuler le moindre son : le cuisinier les percuta.